Pasteurelloses des bovins : actualités

Nora CESBRON* **, Guillaume LEQUEUX* ***

*ADILVA : Association Française des Directeurs et Cadres de Laboratoires Vétérinaires Publics d’Analyses

** Laboratoire de l’Environnement et de l’Alimentation de la Vendée (LEAV)
Rond Point Georges Duval CS 80802 85021 La Roche Sur Yon cedex
nora.cesbron@vendee.fr

***LABOCEA – Site de Fougères
10, rue Claude Bourgelat
35306 FOUGERES
guillaume.lequeux@labocea.fr

Résumé

Ces dernières années, de nouvelles données ont éclairé de nouveaux aspects en matière de pasteurelloses bovines : une description plus fine des pathogénies des infections qu’elle causent, notamment le lien entre sérotypes et séquence d’infection, l’émergence de supports très diffusibles de multirésistance aux antibiotiques, la description de nouvelles entités cliniques autres que strictement respiratoire et enfin la description de deux nouvelles espèces bactériennes pouvant être considérées comme pathogènes chez les bovins : Gallibacterium anatis et Bibersteinia trehalosi.

Mots-clés

Pasteurella multocida, Mannheimia haemolytica, Gallibacterium anatis, Bibersteinia trehalosi

1 : QUELLE EST LA PLACE DES PASTEURELLES DANS LE COMPLEXE RESPIRATOIRE BOVIN ?

Pasteurella multocida (P. multocida) et Mannheimia haemolytica (M. haemolytica) sont deux commensaux faisant partie du microbiote de l’appareil respiratoire supérieur des bovins, pathogènes respiratoires opportunistes à l’occasion de contextes favorables (stress, infections virales par exemple).

Une large étude d’infection expérimentale en conditions contrôlées a confirmé que infections respiratoires à pasteurelles seules engendrent des lésions et des symptômes moins sévères que lorsqu’elles sont combinées à une infection virale (quel que soit le virus respiratoire) et aux facteurs de stress habituellement décrits (1).

2 : QUELLES INFORMATIONS APPORTENT LA DETERMINATION DU GENOTYPE ET DU SEROTYPE DES SOUCHES DE M. HAEMOLYTICA ISOLEES EN PATHOLOGIE RESPIRATOIRE ?

Les outils diagnostiques permettant une caractérisation plus fine des souches de M. haemolytica impliquées en pathologie respiratoire bovine sont à présent relativement facilement accessibles en routine :
– la détermination du génotype est permise lors de l’identification des souches par spectrométrie de masse MALDI-TOF, méthode d’identification qui se généralise et devient courante en diagnostic vétérinaire (2)
– la détermination du sérotype peut être faite par PCR temps-réel, méthode qui s’est substituée au sérotypage par agglutination (3)

Une étude américaine récente concernant Mannheimia haemolytica a permis de montrer que seules les souches appartenant au génotype 2 peuvent être considérées comme pathogènes (car systématiquement retrouvées dans les poumons d’animaux malades, au contraire du génotype 1 qui correspond aux souches commensales retrouvées exclusivement dans le nasopharynx d’animaux sains). Par ailleurs, les supports de résistance voire de multirésistance aux antibiotiques (intégrons) sont exclusivement retrouvés chez les souches de génotype 2 (2).
Des auteurs ont réussi à déterminer qu’il existe des pics spécifiques à chacun de ces deux génotypes en spectrométrie de masse MALDI-TOF, permettant ainsi de les différencier de façon rapide, sans nécessité d’effectuer un génotypage complet (2). Ces travaux ouvrent la possibilité pour le praticien de connaître dès le lendemain de la réception d’un échantillon au laboratoire le génotype d’une souche de M. haemolytica qui serait isolée et donc son pouvoir pathogène mais également son profil de résistance probables.

Dans la séquence pathogénique des infections à M. haemolytica, il a été démontré que les bovins sains sont le plus souvent colonisés par des souches commensales de sérotype A2, mais que les infections respiratoires sont le plus fréquemment causées par des souches pathogènes appartenant au sérotype A1 (4). Les raisons de cette transition de populations bactériennes majoritairement de sérotype A2 vers une « explosion » de populations bactériennes de sérotype A1 dans le tractus respiratoire ne sont pas complètement connues, mais il semblerait que seules les souches de sérotype A1 possèdent des facteurs de virulence permettant l’invasion puis leur prolifération à l’intérieur des cellules de l’épithélium respiratoire (4).

3 : QUELLES SONT LES INFORMATIONS RECENTES EN MATIERE D’ANTIBIORESISTANCE CHEZ LES PASTEURELLES BOVINES ?

Depuis les années 2000 en Amérique du Nord, une diminution continue et importante de la sensibilité aux antibiotiques des pasteurelles bovines est remarquée, avec des taux de résistance dépassant parfois les 70 % à certains antibiotiques (5). Le contexte nord-américain (conduite d’élevage, utilisation des antibiotiques) reste différent de celui existant en France où cette situation n’est pas réellement constatée (données RESAPATH 2019).

Cette évolution nord-américaine a notamment pu être mise en lien avec l’émergence et la diffusion d’ICE (Integrative and Conjugative Elements), éléments génétiques très diffusibles et pouvant être le support de multi-résistances simultanées à différentes familles d’antibiotiques, dont les antibiotiques d’importance critique. Ces ICE sont capables d’être transférés de souches de M. haemolytica et d’Histophilus somni vers des souches de P. multocida puis de P. multocida vers des Escherichia coli digestifs, assurant une diffusion très large de ces supports de multi-résistance.

Il a par ailleurs été démontré qu’une cosélection de souches porteuses de ces ICE est par ailleurs possible par l’usage du florfenicol, de la tétracycline et de la tilmicosine (6).

4 : QUELLES PEUVENT ETRE LES PRESENTATIONS CLINIQUES AUTRES QUE RESPIRATOIRES ?

Ces dernières années, un certain nombre de descriptions cliniques d’infections à pasteurelles autres que strictement respiratoires ont été rapportées chez les bovins.

Tout d’abord, des cas de présentations atypiques d’infections par M. haemolytica :

– au Japon, un cas de péritonite chez un veau de 3 jours, causée par une souche de sérotype A2. Dans ce cas, les auteurs avaient suspecté que le point de départ du sepsis pouvait être l’ombilic et les veines ombilicales (7)
– aux Pays-Bas depuis 2015, des séries de cas de mortalités brutales de vaches laitières adultes à M. haemolytica sans que soient nécessairement associées de signes respiratoires (8). Les mortalités brutales étaient parfois, mais pas systématiquement précédées d’hyperthermie, de chute de production laitière et de symptômes respiratoires. L’évolution se fait généralement en quelques jours dans un élevage et ne touche pas nécessairement un grand nombre d’animaux. Des pleuropneumonies aigües étaient la principale lésion retrouvée. Dans la plupart des élevages touchés, un facteur de stress précédent les cas a pu être identifié. Les souches de M. haemolytica appartenaient aux sérotypes classiquement décrits en pathologie respiratoire (A1, A2 surtout). Les auteurs proposent ainsi d’inclure cette étiologie dans le diagnostic différentiel des mortalités brutales chez les vaches laitières adultes.
– De nombreux cas de polysérosites chez des veaux (9)

Enfin, des cas isolés (Belgique) ou des séries de cas dans plusieurs élevages différents (Nouvelle-Zélande), de tableaux associant pleurésie, péricardite et péritonite fibrinopurulentes causées par des souches de P. multocida de type capsulaire D. Ces souches étaient différentes des souches responsables de la septicémie hémorragique bovine, maladie à notification obligatoire à l’OIE (10).

5 : QUELLES SONT LES IMPLICATIONS DES AUTRES ESPECES DE PASTEURELLES EN PATHOLOGIE BOVINE ?

Deux espèces appartenant à la famille des Pasteurellaceae ont fait l’objet de descriptions récentes (< 10 ans) en tant qu’agents impliqués en pathologie bovine : Bibersteinia trehalosi et Gallibacterium anatis.

Bibersteinia trehalosi est une bactérie principalement décrite comme agent responsable de septicémies aigües (« pasteurellose systémique ») chez les agneaux de plus de 6 mois. Cette espèce avait déjà été décrite comme commensal possible du nasopharynx, des conjonctives oculaires et des amygdales chez les bovins (11).

Chez les bovins, différentes présentations cliniques lors d’infections à Bibersteinia trehalosi sont décrites particulièrement depuis une dizaine d’années : hépatite nécrosante et sérosite fibrineuse chez des vaches adultes, bronchopneumonies fibrinopurulentes voire nécrosantes chez des bovins de plus de mois (12). Des cas de pleuropneumonies associées à des septicémies ont également récemment été décrits chez des veaux laitiers nouveaux-nés (13).

Bibersteinia trehalosi est à présent reconnu en Amérique du Nord comme agent bactérien émergent, pathogène primaire impliqué dans le complexe respiratoire bovin chez les bovins en engraissement mais aussi chez de jeunes veaux (l4). Cet agent est de plus en plus isolé dans ces contextes cliniques depuis 2007 environ.

Il est possible, selon les auteurs de ces différentes études, que l’implication de Bibersteinia trehalosi en pathologie bovine ait été sous-estimée pendant des années du fait des difficultés existantes à la différencier de M. haemolytica lors de son identification bactériologique, alors que les tableaux lésionnels liés à ces deux bactéries ne sont pas différenciables. L’avènement de l’identification bactérienne par spectrométrie de masse MALDI-TOF, permettant une identification facile et fiable de cette espèce bactérienne pourrait être une explication de l’augmentation de son incidence dans l’espèce bovine.

Il est intéressant de noter que M. haemolytica et Bibersteinia trehalosi partagent des facteurs de virulence communs (lipopolysaccharides et leucotoxine) et que l’utilisation de vaccins dirigés contre M. haemolytica a démontré une protection croisée contre les infections à Bibersteinia trehalosi chez les bovins (15).

Enfin, les études de séquençages tendent à démontrer que, dans les troupeaux mixtes ovins-bovins, la transmission de cette bactérie se ferait plutôt dans le sens bovins vers ovins que l’inverse (13).

En France, peu de données existent, mais il est constaté un à deux isolements par an depuis 2017 environ à LABOCEA Fougères alors que de tels isolements n’avaient pas été constatés précédemment. Il est néanmoins possible, là encore, que ce constat puisse en partie être lié à l’utilisation en routine du MALDI-TOF pour les identifications bactériennes depuis quelques années.

Gallibacterium anatis a fait l’objet d’une description beaucoup plus récente. Il s’agit d’une bactérie émergente chez les volailles (espèce poule en particulier), pathogène opportuniste responsable principalement de septicémies (salpingites, péritonites, épididymites et lésions respiratoires) dans cette espèce.
Gallibacterium anatis avait précédemment isolé à partir de fèces chez des bovins sains, mais une récente étude en Belgique suggère de considérer cette bactérie comme pathogène respiratoire émergent, secondaire et opportuniste chez les bovins (16). Dans cette publication, aucun lien n’avait pu être fait avec une contamination éventuelle à partir d’élevages aviaires. Il semble que, comme précédemment décrit pour Bibersteinia trehalosi, l’incidence de Gallibacterium anatis chez les bovins ait augmenté ces dernières années du fait d’une utilisation plus large du MALDI-TOF, outil qui aurait seul ou en grande parti augmenté le taux d’identification de cette bactérie.

La préoccupation majeure, selon ces auteurs (16) concernant Gallibacterium anatis réside dans le constat (partagé par les observations faites à LABOCEA Fougères) de fréquentes multi-résistances chez les souches isolées de pathologies respiratoires bovines, dont des résistances fréquentes aux fluoroquinolones.

Bibliographie

1. GERSCHWIN L., VAN EENENNAAM A., ANDERSON M., MELIGOT A., SHAO M., TOAFF-ROSENSTEIN R., TAYLOR J., NEIBERG L., WOMACK J. Single Pathogen Challenge with Agents of the Bovine Respiratory Disease Complex. Plos One. 2015. DOI:10.1371/journal.pone.0142479

2. LOY J., CLAWSON M. Rapid typing of Mannheimia haemolytica major genotypes 1 and 2 using MALDI-TOF mass spectrometry. Journal of Microbiological Methods. 2017;136:30-33

3. KLIMA C., ZAHEER R., BRIGGS R., McALLISTER T. A multiplex PCR assay for molecular capsular serotyping of Mannheimia haemolytica serotypes 1, 2, and 6. Journal of Microbiological Methods.2017; 139 :155-160

4. COZENS D., SUTHERLAND E., LAUDER M., TAYLOR G. BERRY C., DAVIES R. Pathogenic Mannheimia haemolytica invades differentiated bovine airway epithelial cells. Infection and Immunity. 2019, Accepted Manuscript Posted Online 8 April 2019. doi:10.1128/IAI.00078-19

5. KLIMA C., ZAHEER R., COOK S., BOOKER C., HENDRICK S., ALEXANDER T., McALLISTER T. Pathogens of Bovine Respiratory Disease in North American Feedlots Conferring Multidrug Resistance via Integrative Conjugative Elements. Journal of Clinical Microbiology. 2014;52:438-448

6. WELSH R. , DYE L., PAYTON M., CONFER A. ME, Confer AW.. Isolation and antimicrobial susceptibilities of bacterial pathogens from bovine pneumonia: 1994–2002. Journal of Veterinary Diagnostic and Investigation. 2004;16:426–431

7. HARADA N., TAKIZAWA K., MATSUURA T., YOKOSAWA N., TOSAKI K., KATSUDA K., TANIMURA N., SHIBAHARA T. Bovine peritonitis associated with Mannheimia haemolytica serotype 2 in a three-day-old Japanese Black calf. The Journal of Veterinary Medical Science. 2019;81:143-46

8. GD ANIMAL HEALTH. 2015. https://www.gdanimalhealth.com/news/2015/04/mortality-due-to-mannheimia-haemolytica-in-dairy-cows

9. GD ANIMAL HEALTH. 2019.GD Monitoring Animal Health, Cattle. June 2019. www.gdanimalhealth.com

10. MCFADDEN A., CHRISTENSEN H., FAIRLEY H., HILL F., GILL J., KEELING S., SPENCE R. Outbreaks of pleuritis and peritonitis in calves associated with Pasteurella multocida capsular type B strain. New-Zealand Veterinary Journal. 2011;59:40-45

11. NAKAY I., NAKAZAWA M., HASHIMOT Y., IKEUCHI T., NOMA S., TORIKAI Y., EZAKI T. Isolation and characterization of Pasteurella trehalosi from cattle. Journal of the Japan Veterinary Medical Association. 1995;48:750–754

12. Collins RL. Bibersteinia trehalosi in cattle – another component of the bovine respiratory disease complex? Cattle Practice.2011;19:9–12

13. BROWN S., BYCROFT K., ADAM K., COLLETT M. Acute fibrinous pleuropneumonia and septicaemia caused by Bibersteinia trehalosi in neonatal calves in New Zealand. New Zealand Veterinary Journal. 2020. DOI: 10.1080/00480169.2020.1792372

14. CORTESE V., BRAUN D., CROUCH D., TOWNSEND C., ZUKOWSKI B. Case report – peracute to acute fatal pneumonia in cattle caused by Bibersteinia trehalosi. Bovine Practitioner. 2012;46,138–42

15. BOWERSOCK T., SOBECKI B., TERRILL S., MARTINON N., MEINERT T., LEYH R. Efficacy of a multivalent modifiedlive virus vaccine containing a Mannheimia haemolytica toxoid in calves challenge exposed with Bibersteinia trehalosi. American Journal of Veterinary Research. 2014;75:770–776

16. VAN DRIESSCHE L., VANNESTE K., BOGAERTS B., DE KEEESMAECKER S., Nancy H. ROOSENS N., HAESEBROUCK F., DE CREMER L., DEPREZ P., PARDON B., BOYEN F. Isolation of Drug-Resistant Gallibacterium anatis from Calves with Unresponsive Bronchopneumonia, Belgium. Emerging Infectious Diseases. 2020;26:721-730